Chroniques

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Saguenay, la vache à lait des avocats

Le 14 août 2025 — Modifié à 08 h 00 min le 14 août 2025
Par Roger Lemay

Il y a quelques semaines, j’ai intitulé ma carte blanche: Bar open pour le bar rayé. Je souhaitais illustrer que ce poisson était devenu un prédateur menaçant pour les saumoneaux de nos rivières et je plaidais pour l’adoption d’un projet pilote permettant la pêche sportive de cette espèce. Or je pourrais titrer cette semaine: Bar open pour les avocats à Saguenay…

C’est qu’à Saguenay, la somme consacrée aux frais d’avocats atteint des niveaux inédits, conséquence d’une série de conflits internes qui dévorent le budget municipal. Et ce sont les contribuables, vous et moi, qui en paient le prix fort. Rien que pour les dossiers de congédiement de deux cadres (l’ex-directeur général de la Société de transport du Saguenay (STS), Jean-Luc Roberge, et l’ex-greffière de Saguenay, Caroline Dion), la facture s’élève à 1,1 million de dollars et elle ne cesse de grimper. Juste pour la défense de la mairesse Julie Dufour, liée à ses présumées irrégularités en campagne électorale, le coût est de 81 000$. Et ce n’est pas fini.

Vous croyez que c’est normal? Que des poursuites du genre sont inévitables et entrent dans le quotidien d’une gestion municipale responsable? Eh bien non. Avez-vous entendu parler de litiges internes similaires à Alma? À Trois-Rivières? À Sherbrooke? À Rimouski?  Non, parce qu’il n’y en a pas. Pour un avocat, avoir une ville comme client, c’est une bénédiction, une vraie mine d’or. Une ville, ça paie bien, ça ne fait pas faillite, ça n’est pas trop regardant sur la facture. Contrairement à un particulier ou à une PME qui veut savoir comment chaque dollar donné à son procureur a été dépensé, les vérifications se font plutôt en diagonale quand il s’agit d’une municipalité. Prenez le procureur de la mairesse, un avocat de Québec, Charles Levasseur, qui a déjà été impliqué dans le cas du juge Jacques Delisle, pensez-vous qu’il s’est gêné en facturant la ville? Qu’il a songé à un petit rabais en pensant aux pauvres contribuables de Saguenay? Croyez-vous que quelqu’un, à l’interne, à la ville, a scruté à la loupe son état de compte?  De toute façon, comment vérifier si les heures facturées ont bel et bien été travaillées? Tout compte fait, en donnant un mandat à un avocat, sans pouvoir examiner en détail sa note d’honoraires, c’est l’équivalent de lui signer dès le départ un chèque en blanc.

Les avocats, en quelque sorte, sont des mercenaires. Ils vont vendre leurs services aux plus offrants. Et rien ni personne n’a plus à offrir qu’une ville, une vraie vache à lait. Et ça, c’est en plus de ce que coûte déjà le contentieux à Saguenay, c’est-à-dire le service maison des affaires juridiques, responsable de défendre les intérêts de la ville en justice, de fournir des avis juridiques, de rédiger des règlements et contrats, traiter également des réclamations et des litiges.   

Le pire, c’est de songer que tous ces conflits étaient évitables. Au sein de l’entreprise où j’œuvre, nous sortons d’un long processus de formation visant les gestionnaires. Ce fut un exercice très rigoureux, pas toujours facile. Les formateurs nous ont forcé à nous extérioriser, à gratter nos bobos, à aller au fond des choses, à identifier et régler nos différents. N’oubliez pas que vous êtes des références pour les employés, nous ont-ils expliqué, ils doivent avoir confiance en vous, et vous êtes, en quelque sorte, condamnés à donner l’exemple et à vous entendre. Cette formation serait donc utile pour les élus de Saguenay et tous ses gestionnaires. Une entreprise comme celle qui m’emploie n’a pas les moyens de se payer des avocats à chaque fois qu’un conflit interne éclate. Il faut le désamorcer en amont, se parler, négocier, trouver une entente et aller de l’avant. C’est l’inverse qui se passe à Saguenay. Le recours aux avocats est devenu la norme. 

Ce n’est pas la seule tare de cette administration, mais le fardeau juridique est simplement devenu inacceptable pour les contribuables de Saguenay. Malheureusement, rien ne laisse croire à un renversement de situation, quand on assiste à chaque séance de conseil à des combats de basse-cour.

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