Derrière l’image des entrepreneurs admirés pour leur audace et leurs réalisations se cachent souvent des hommes et des femmes d’affaires dont la santé mentale est fragile. Et un professeur en psychologie du travail de l’UQAC sonne à son tour l’alarme.
Appelé à commenter les résultats d’études publiés dans le livre « Et si l’entrepreneuriat rendait fou? Quand génie et vulnérabilité se côtoient », Félix A. Proulx les a qualifiées de troublantes.
Selon les auteurs Dominic Gagnon et Isabelle Naessens, il y aurait chez les entrepreneurs deux fois plus de dépression, trois fois plus de dépendance à l’alcool et trois fois plus d’hospitalisations psychiatriques que parmi la population en général. Le suicide serait la deuxième cause de mortalité des entrepreneurs, juste après la crise cardiaque.
« C’est un constat alarmant, souligne l’enseignant qui est aussi psychologue. Des statistiques comme ça, il y en a également sur les coûts pour la société. Être entrepreneur, ça vient avec beaucoup de responsabilités, c’est un travail exigeant qui a des impacts sur la santé psychologique et physique. »
Il faut toutefois éviter de généraliser selon lui, parce qu’il y a beaucoup de variabilités dans le monde des affaires.
« Ça dépend vraiment du type d’entreprises, d’industrie et des informations sur l’entrepreneur. Certains sont seuls, tandis que d’autres comptent sur une petite ou grande équipe. Et ils ne sont pas tous entourés et préparés de la même façon durant leurs parcours. Ce sont des enjeux et il est pertinent d’aller en profondeur. »
L’enseignant ajoute qu’il est donc nécessaire d’analyser des cas spécifiques, le type d’industrie et le milieu pour découvrir des nuances.
Facteurs de risques
« Il faut mieux comprendre le phénomène et se pencher sur les processus de détérioration de la santé, voir s’il y a des facteurs de risques plus importants pour l’épuisement professionnel, y compris la dépression et l’anxiété. »
Félix A. Proulx a fait sa thèse doctorale sur la santé mentale en se concentrant sur le domaine de la construction. Il a utilisé un modèle selon lequel il y a des caractéristiques positives et négatives qui pourraient être étendues à d’autres secteurs d’activités.
« Les entrepreneurs gèrent des ressources et des demandes, ce qui met de la pression sur les individus. Avoir des ressources permet de se protéger. Si j’ai des demandes, mais j’ai les ressources, je ne vais pas m’épuiser professionnellement. S’il n’y a pas d’équilibre, ça engendre des conséquences. »
Une recherche qui progresse
La recherche sur la santé mentale des entrepreneurs progresse à son avis, mais il faudra encore attendre quelques années pour avoir un portrait global de la situation.
« Les études actuelles sont intéressantes, mais il faut aller plus loin pour mieux comprendre ce qui se passe. »
Entretemps, le professeur estime que les hommes et les femmes d’affaires en difficulté n’ont pas assez d’aide.
« Même en dehors de l’entrepreneuriat, avoir accès à des soins pour la santé mentale, ce n’est pas un service accessible à tout le monde. Quand tu as de bonnes assurances, tu peux avoir accès à de la psychothérapie. Quand tu es sur le bord de te noyer et que tu n’as pas les moyens, ce n’est pas ta priorité. »